S’engager dans des projets collectifs

    Pourquoi ce thème ?

    En agriculture, le collectif est présent sur l’exploitation (dans les formes sociétaires), et en-dehors, en lien avec la production, la transformation ou encore la commercialisation. Ces collectifs sont multidimensionnels, à la fois par la diversité de leurs statuts juridiques ou leur absence, par la diversité de leur taille (aux niveaux humain, économique…), par la diversité de leurs interactions avec d’autres acteurs du territoire etc. … Conçus à l’origine le plus souvent pour mutualiser des moyens et pour rompre avec des conditions de travail parfois synonymes d’isolement, leur développement et leur maintien est lié à la façon dont se nouent et se dénouent différents enjeux : l’articulation entre les niveaux individuels et le niveau collectif, la communication entre les individus composant le collectif, la construction et l’expression d’une vision partagée, l’organisation du collectif dans la durée et plus particulièrement dans la phase d’émergence et de post-création…


    L’accompagnement des collectifs auquel s’intéresse depuis sa création le réseau des Afocg, se traduit dans différents types de formations dont vous trouverez ci-dessous plusieurs témoignages :

    • Emmanuel, un des porteurs du projet de structure de déshydratation de fourrage dans le Doubs
    • Dominique, associé d’une structure de commercialisation de produits arboricoles Terr’Etic, accompagnée par l’Afocg du Rhône depuis 2013
    • Françoise, membre d’un GAEC familial, accompagnée par l’Afog Pays-Basque en 2015

    Ce qui a été mis en place dans les Afocg

    Mickaël (accompagnement de Terr’Etic à l’Afocg du Rhône) :

    « Les réunions sont passionnantes mais il faut savoir aller rapidement sur les prises de décision et travailler les projections. Ne pas faire que de la gestion du quotidien, imaginer ce que pourrait être la structure dans plusieurs années. Rien n’est figé, il faut toujours savoir se remettre en cause. »


    Mattin (accompagnement d’un GAEC à l’Afog Pays-Basque) :

    « L’Afog Pays-Basque a accompagné une vingtaine de GAEC cette année, ce qui s’explique en partie par le contexte de transmission des fermes. On a décidé de reposer à plat nos formations GAEC, dans l’objectif de travailler davantage la dimension relationnelle dans sa forme et dans son fonds. On essaye de mieux faire s’articuler le passage du « je » individuel au « nous » en GAEC, à travers le travail sur les enjeux individuels et collectifs, les modalités de relation, les représentations des uns et des autres dans le travail… Cela passe par la distinction des enjeux des finalités dans le GAEC : il peut être à la fois l’espace commun de réalisations et aussi l’expression d’envies non partagées, tout aussi légitimes et dont il faut avoir conscience et s’accommoder. Et cela passe aussi par la construction d’une boussole : qu’est-ce qui est fondamental pour les associés, qu’est-ce- qui fonde la vision du groupe ? ».

    Témoignages d'agriculteurs

    Témoignage sur un projet de déshydratation d’herbe et de bois mené avec des éleveurs laitiers du Doubs (Emmanuel, Désia 25) :

    « Quelques agriculteurs réfléchissaient à l’autonomie alimentaire. Notamment avec le cahier des charges du Comté, dans lequel l’exigence d’autonomie en protéines s’est renforcée. Aujourd’hui, il y a au moins un Comté sur deux qui est fabriqué grâce à des tourteaux de soja. Si j’arrête d’acheter des tourteaux de soja, comment je fais ? Il existe bien des projets permettant d’aller vers plus d’autonomie comme le séchage en grange, mais ils nécessitent des investissements importants. Beaucoup hésitent, peu se lancent. Plutôt que d’investir 200 000 euros chacun de son côté, comment s’organiser en collectif ?
    On est alors allés visiter à cinq agriculteurs, la Codéma en Mayenne, une structure de déshydratation de fourrage fonctionnant grâce à la fermentation des déchets. On a alors créé une association de dix personnes, sept agriculteurs et trois non-agriculteurs pour pouvoir produire des granulés d’herbe grâce à une structure de déshydratation. Dès le début du projet, on voulait intégrer d’autres personnes de la société pour ne pas être identifiés comme des agriculteurs « industriels intensifs ». Une étude de faisabilité a été financée en partie par l’ADEME et le Conseil Régional. Des réunions locales se sont tenues pour présenter le projet et pour recruter de premiers adhérents pour lancer les choses. On a eu très facilement 200 pré-engagements. En juin 2010, on a demandé 5 000 euros d’engagement par adhérent : on n’a pas eu les 200 espérés, ce qui a été un premier à-coup. Mais au même moment, une scierie est venue nous voir, pour la production de granulés de bois : notre outil était compatible, ce qui fait que deux scieries se sont associées au projet, ce qui a compensé le déficit d’adhérents. On a aussi ouvert la participation au capital à des investisseurs privés qui ont cru en nous. Au final, la structure est devenue une SAS composée d’un CA de 15 personnes, dont 10 agriculteurs, 2 scieries et 3 investisseurs. On réalise toutes les tâches de la récolte, à la déshydratation de l’herbe jusqu’à la livraison des granulés, grâce au travail de 17 personnes, pour essayer de tout maîtriser. On a créé un groupe avec des groupes concernés par l’environnement (LPO, conservatoire botanique, DDT…), qui avaient peur qu’on arrête de produire du foin. On a recommandé à nos adhérents de ne pas se lancer dans la fauche précoce : seuls 5 à 10% de la surface peut être déshydratée, le reste non pour éviter la baisse de biodiversité dans les prairies.
    99% des personnes qui sont passées aux granulés d’herbe sont enchantées, leur lait est d’aussi bonne qualité et leurs vaches vont mieux. Ce projet nous a permis de faire d’améliorer la qualité d’alimentation des troupeaux, la qualité du lait, la santé des animaux. Par ailleurs, il nous permet aussi de récupérer l’herbe de coupes d’automne, qui sans cela seraient perdues. On apprend aussi à améliorer peu à peu le taux de protéines dans les granulés, entre 8 à 12% la première année, plutôt entre 16 à 24% en 2015.
    Malheureusement, le jour où il y a eu de premières difficultés, économiques notamment, ça a claché. On a été obligés d’augmenter les prix, ce qui n’a pas convenu aux scieries notamment. Certains éleveurs n’étaient pas prêts à remettre de l’argent. Ça a été difficile. On a mis beaucoup d’énergie dans ce projet, au moins deux réunions par mois pendant deux ans, en croyant qu’il serait fini à la sortie du premier granulé, or c’est à ce moment-là qu’il a tout juste commencé. On s’est alors retrouvés tous seuls avec la directrice, les autres nous en ont voulu d’agir seuls, mais on était tous seuls. C’est aussi difficile d’intégrer les autres acteurs dans le groupe fondateur, et faire se rejoindre le groupe fondateur qui a tendance à avoir « la tête dans les étoiles » avec les adhérents qui ont davantage « les pieds sur terre ». Dans ce collectif sans hiérarchie, le consensus est très lourd, il faut arriver à l’organiser pour que les décisions se prennent plus vite. Je pense dans le fonds qu’il faudrait deux équipes, une qui porte la création du projet, une qui porte celle de sa post-création. Je pense aussi que les Afocg peuvent avoir un rôle à jouer dans des projets comme celui-là, dans l’accompagnement lors de la phase de création et lors de la phase de post-création, à mon avis d’une durée d’au moins cinq ans. »


    Création d’une structure de commercialisation à plusieurs (Dominique, Afocg du Rhône, arboriculture) :
    « Terr’Etic, structure collective de commercialisation, est née de la rencontre entre trois paysans des Monts du Lyonnais : Cyril, maraîcher et arboriculteur cherchant à maintenir sa production de fruits biologiques ; Marc, associé d’un GAEC cherchant à développer la production de fruits pour permettre l’installation d’une troisième personne dans leur structure notamment ; et Dominique, à la recherche d’autres débouchés suite à l’arrêt de la vente ) la coopérative de ses produits transformés à la ferme à partir de ses fruits (sirops, coulis, confitures). Parmi nos différentes rencontres, un metteur en marché Ethiquable, souhaitant mettre en valeur des produits français via sa charte « Paysans d’ici », nous a proposé une commande de 10 000 pots de confitures de groseilles biologiques. On a dit oui, tout en se disant qu’il fallait faire attention et ne pas se tromper sur notre prix de vente.
    Aujourd’hui, on commercialise 50% de notre production à Ethiquable et 50% à Grand Frais. Au niveau économique, on estime qu’on produit du fruit qui a la même valeur, qu’il parte au marché ou en transformation. La notion de commerce équitable est importante pour nous, on présente au client la composition de notre prix de revient en toute transparence, c’est un élément majeur dans notre relation commerciale. Nos fruits sont payés correctement. On fonctionne de manière complémentaire : Marc est plutôt impliqué dans la partie technique et le lien avec d’autres producteurs pour d’éventuels approvisionnements, Cyril dans les réseaux bio et moi dans la transformation et les réseaux commerciaux. On passe environ 250h chacun par an à Terre’Etic (gestion, transformation, commercialisation, formation), auxquelles il faut rajouter 250h d’un salarié. Au final, Terr’Etic représente environ 10% de notre chiffre d’affaires pour chacun, rémunère notre temps passé et nous permet d’assurer du stockage. C’est rassurant d’être dans un projet collectif, quand je ne suis pas disponible, mes collègues sont là, on est dans la confiance. Mais aussi, c’est difficile de s’ouvrir à d’autres, on se connaît bien. On n’a pas l’ambition de faire une grosse structure, pour éviter des prises de décision plus longues et la mise en place d’une direction. Ce qui rend aussi plus facile notre engagement, c’est que notre temps investi est rémunéré.
    Tous les trois, on avait décidé de solliciter alors l’Afocg pour un accompagnement global, ce qui a consisté à se rencontrer au moins 16 journées depuis 2013. L’Afocg a plusieurs fonctions dans cet accompagnement : l’animation de nos débats, le suivi de l’ordre du jour, la facilitation de la prise de décisions et la capitalisation de nos échanges pour permettre une continuité entre les réunions. A nous agriculteurs, cela nous permet de nous investir pleinement dans les échanges et de venir tête reposée à chaque réunion. Ça permet aussi de se poser pour valider ce qui serait sinon échangé sur un coin de table. Par ailleurs, l’Afocg veille aussi à ce que les choix réalisés soient cohérents pour la structure collective Terr’Etic et pour chacune des exploitations qui la composent, et nous aide à revenir sur des décisions que l’on aurait prises mais que l’on n’aurait pas suivies. L’Afocg ajuste aussi les outils qu’on utilise, selon nos pratiques. Finalement, l’Afocg a une place particulière dans notre projet : elle intervient un peu partout, elle nous aiguille, elle nous alerte ».


    S’associer en GAEC : construire des bases solides (Françoise, Afog du Pays-Basque, élevage) :
    « On forme un GAEC de trois personnes, avec mon compagnon et mon fils, qui date de plusieurs décennies. Ma mère déjà en 1975, devenue veuve, avait décidé de pérenniser l’exploitation en s’associant en GAEC avec une femme hors-cadre familial. On a 70 ha de prairies situées sur des zones en forte pente qui nous empêchent de produire des céréales, et qui servent donc à l’alimentation de nos vaches et de nos brebis (pacage et foin). Aujourd’hui, notre GAEC est solide financièrement mais nous laisse peu de temps pour les loisirs. Notre fils nous a rejoints en octobre 2015 après des études agricoles, avec l’idée de mettre en place un séchage en grange et de déplacer l’étable et la bergerie, pour gagner de l’autonomie en protéines et un peu de temps libre. Ceci a provoqué de nombreuses discussions entre nous. C’était plus compliqué avec mon mari, puisque cela touchait la partie production dont il s’occupe, étant moi-même plutôt sur la partie transformation fromagère. Par ailleurs, tout ce qui est fait sur l’exploitation est discuté en famille, avec le reste de la fratrie même si elle n’est pas associée au GAEC. Etre en GAEC, c’est pour moi la garantie d’être à égalité : chacun a la possibilité de donner son avis, et il faut en tenir compte.
    J’avais des craintes sur l’évolution des relations. L’Afog nous a permis de discuter entre nous, et avec d’autres GAEC en collectif. Cela permet de dédramatiser en entendant ce qui se passe chez les autres. Cette formation a facilité des discussions à la maison, mon fils et mon mari s’écoutent beaucoup plus. Je trouve cela très important d’entrer en formation GAEC par l’aspect humain. Cette formation nous a permis d’alterner des temps personnels dans le groupe de formation, chacun devant sa feuille, des temps en GAEC et du travail à la maison. Cela se fait au fur et à mesure. »