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    Patricia, maraichère dans la Loire
    S'adapter face au changement climatique

    PODCAST avec interview complete A ECOUTER ICI

    (interview réalisée par TransRural Initiatives dans le cadre des Rencontres Nationales 2020)

    Patricia, maraichère dans la Loire depuis bientôt 10 ans, a suivi début 2020 une formation sur l’adaptation au changement climatique proposée par l’AFOCG Rhône-Loire. Depuis elle s’est passée d’une de ses trois serres et tente d’être plus réactive face aux événements climatiques.

    Bonjour Patricia, pouvez-vous vous présenter?
    Je m’appelle Patricia, je suis maraîchère en agriculture biologique. Je suis installée depuis fin 2011. Je vends ma production dans un rayon de 10 km autour de chez moi, sur un marché, à deux Amap et aussi dans quelques magasins. J’ai un peu plus d’un hectare de légumes dont 600 m² de serres, couverts, non chauffés. J’achète mes semences et je fais tous mes plants pour les légumes que je produis, ce qui n’est pas très courant dans le maraîchage dans la région.

    Quand avez-vous suivi la formation sur le changement climatique qui était proposée par l’AFOCG Rhône-Loire ?
    On l’a démarrée en décembre 2019 et ensuite tout début 2020. On devait avoir une dernière réunion qu’on n’a pas pu faire parce qu’il y a eu le confinement.

    Vous aviez déjà remarqué les effets du changement climatique sur votre exploitation ? Vous parliez de fortes chaleurs, ça avait entraîné quels effets concrets chez vous ?
    Quand il nous en a parlé, on a tout de suite vu la chaleur, la sécheresse. Je me souviens qu’en 2017 et 2018 j’étais fatiguée à la fin de la saison et très en colère. J’étais épuisée et stressée. Il y a plus de travail d’irrigation, on perd des légumes parce que ça grille complètement à certains moments. J’avais l’impression de tout faire comme il faut, d’avoir choisi l’agriculture biologique, la traction animale, et puis je me retrouvais en première ligne pour subir les conséquences du changement climatique sans pouvoir faire quoi que ce soit.

    J’étais écrasée par la chaleur, la sécheresse et ça me désespérait. Je crois que tous dans le groupe on avait vraiment ça en tête : dans le changement climatique on voyait surtout les effets de la chaleur et de la sécheresse. Avec en plus des attaques d’insectes qu’on avait pas avant. Les punaises en l’occurrence sur tous les crucifères, ça devient compliqué.
    Quand on a démarré la formation, on est revenus sur tous les événements climatiques qui s’étaient déroulés les années précédentes et qui avaient marqué nos fermes. Et la sécheresse, la chaleur, c’est pas le seul événement qui apparaît. On a des tempêtes aussi. En maraîchage, on est assez fragiles face à ça. On a tous des tunnels et quand il y a des vents à 150 km/h, on subit ça très fortement, quel que soit l’endroit où on est. On s’est aperçus aussi que maintenant il pouvait y avoir des printemps très pluvieux avec des périodes où on ne pouvait plus rien faire. Donc finalement au cours de la formation on s’est aperçus que même si nous on venait surtout pour la chaleur et la sécheresse, il y a d’autres événements devant lesquels on est vraiment fragiles.

    Pouvez-vous retracer le déroulé de cette formation ?
    On était un groupe de sept. Le formateur a commencé par retracer l’évolution du climat depuis le début du siècle, avec l’accélération qu’il y a eu ces 20-30 dernières années et les conséquences sur les productions agricoles qu’on peut déjà ressentir. Après, il nous a parlé de l’évolution climatique qui était prévue pour les années à venir car des études qui ont été faites, centrées sur la région Rhône-Alpes, avec différents scénarios possibles selon si, au niveau global, des États, on faisait quelque chose ou si on ne faisait rien.
    Puis on a essayé de caractériser les événements climatiques chacun sur nos fermes, de voir ce qui avait impacté notre production, de quelle manière, ce qui avait impacté notre moral aussi, au niveau professionnel, personnel… ce qui nous avait marqué ces dernières années au niveau économique. On est repartis de là la fois suivante pour travailler en groupe cette fois sur les points importants : chaleur/sécheresse, gestion de l’eau, tempêtes, fragilité des tunnels… On s’est demandé comment on pouvait s’adapter, quels étaient les changements qu’on pouvait faire sur nos fermes. En discutant avec les autres, je me suis rendue compte qu’on pouvait essayer de faire quelque chose et ça a changé ma manière de voir les choses. Je n’étais plus en colère, ça m’a redonné un peu d’énergie et l’envie d’avancer. J’ai eu l’impression de reprendre un peu les choses en main donc j’étais assez contente.

    Avez-vous mis des choses en place depuis cette formation ?
    Pas énormément parce que ça ne fait pas longtemps. Entre les deux séances de formation, il y a eu une tempête, avec des vents à 150 km/h qui ont beaucoup abîmé mes tunnels. Du coup, en repensant à ce dont on avait commencé à discuter, j’ai décidé de ne remonter que deux tunnels sur trois. Je vais essayer de renforcer celles qui me restent, de passer peut-être sur des plus petites serres pour en avoir quand même suffisamment.
    J’ai aussi élargi mes dates de plantation pour aller plus vers l’automne en essayant de voir si ça tenait et pour l’instant ça se passe assez bien. Bien sûr, il faudra refaire des essais les années suivantes.

    Je suis partie aussi sur beaucoup plus de paillage, c’est quelque chose dont on avait discuté aussi. J’avais du paillage essentiellement sous serre, maintenant je suis beaucoup dehors en paillage donc ça passe aussi par une recherche de matériaux. Les sols sont soumis à beaucoup de sécheresse donc le paillage aide à lutter contre cette sécheresse mais c’est aussi une amélioration des sols face au vent qui peut emmener pas mal de terre quand la terre est sèche. C’est aussi un paillage qui protège le sol de ces pluies très importantes qui peuvent emmener de la terre. Je le mets au printemps et en été pour protéger de la sécheresse mais je le laisse et parfois j’en ajoute à l’automne pour protéger mon sol l’hiver.

    Avez-vous pu constater des effets concrets sur la production et sur votre travail ?
    C’est difficile pour la production parce que c’est très variable. J’ai constaté plutôt une amélioration avec le paillage. J’ai une retenue collinaire donc je n’ai pas autant d’eau que je voudrais, je suis contrainte par l’eau. Pailler plus m’a permis d’arroser moins certains légumes paillés et d’avoir un peu plus d’eau pour d’autres. Concernant la production, je trouve que ça s’est bien passé, sûrement parce que je me suis plus adaptée, en élargissant mes dates de plantation, en essayant de réagir rapidement…
    J’ai gagné beaucoup de temps de travail quand j’ai décidé de ne pas remonter une de mes serres. J’ai passé plus de temps de temps à faire des essais de semis, qui dans l’ensemble ont plutôt bien marché donc en même temps la production a plutôt augmenté. En puis comme le sol était paillé une bonne partie de l’année, je pouvais replanter derrière sans retravailler le sol donc j’ai gagné du temps. Après, le temps passé sur l’irrigation n’a pas beaucoup changé : il est toujours important. Il y a du travail qui se rajoute auquel je n'avais pas pensé : comme j’ai moins de serres j’ai beaucoup plus de voiles de protection et quand il y a du vent il faut tous les enlever et les remettre après. On les a enlevés il y a 3-4 jours et maintenant il faut les remettre. C’est assez difficile sur le temps de travail de savoir si j’ai beaucoup gagné ou perdu.

    Financièrement vous vous y retrouvez ?
    Oui malgré une serre en moins l’année s’est économiquement bien passée. Il y a aussi eu le confinement qui fait qu’on a eu plutôt une hausse de la demande donc j’ai plus vendu cette année.
    Et puis je trouve que je suis moins stressée. Malgré tout, ça joue beaucoup sur mon état d’esprit, sur ma manière de réagir sur la ferme. Je trouve que je vais mieux et j’ai l’impression d’avoir des outils à ma disposition : je réagis mieux et plus vite quand il y a un événement et ça se ressent sur l’ensemble des résultats.

    Avant la formation vous étiez plutôt en colère, aujourd’hui ce serait plutôt quel état d’esprit ?
    Je suis un peu plus sereine. J’ai l’impression que je peux faire des choses, que je peux continuer à avancer. J’ai retrouvé une envie et des idées, j’ai envie d’expérimenter. Et en même temps du coup je vois ce qui se passe autour de moi, en France, et je trouve que là par contre ça n’a pas du tout avancé.

    Les solutions dont vous m’avez parlé, ce sont des solutions trouvées collectivement pendant la formation ?
    Oui en discutant ensemble. Par exemple, quand j’ai décidé de supprimer une serre, je ne l’aurais peut-être pas fait si on n’en avait pas discuté auparavant tous ensemble. En discutant avec les autres maraîchers, on s’est dit que peut-être c’était une sorte de fuite en avant et qu’il fallait repasser à plus de légumes de saisons et essayer d’en discuter avec le consommateur. Seule, je n’aurais peut-être pas osé me dire que c’était possible. Les entendre dire ça, qu’il fallait se rapprocher de la saison, interpeller les consommateurs, proposer autre chose, ça m’a confortée dans cette idée et c’est comme ça que je me suis passée d’une serre.

    Finalement, ce qui vous a le plus servi dans cette formation, c’est le fait de discuter avec vos pairs, avec d’autres maraîchers, de cette problématique du changement climatique, pas tant les apports extérieurs sur les évolutions du climat.

    L’étude sur l’évolution du climat dans la région Rhône-Alpes aide quand même beaucoup pour savoir où on va parce qu’on est vraiment dans l’incertitude en ce moment : il y a des hivers plus chauds mais est-ce que ça va durer ? La pluviométrie, est-ce que ça va durer ? Le fait d’avoir un apport c’était important, mais le point vraiment crucial, c’était la discussion avec les autres. Le fait que ce soit un groupe de maraîchers, avec les mêmes problématiques, que chacun apporte ses idées, qu’il y ait confrontation et que finalement on se rejoigne sur les solutions, ça m’a vraiment permis d’avancer.

    Le mot de Jean-Pierre : animateur-formateur

    "À l’AFOCG Rhône-Loire, on avait déjà organisé cette formation sur l’adaptation au changement climatique avec des groupes d’éleveurs. Le canevas de cette formation, financée par VIVEA, reste le même mais les problématiques qui ressortent sont différentes. Dans les deux cas, l’objectif est de répondre au besoin de prendre du recul par rapport à ces événements climatiques extrêmes pour identifier les vulnérabilités de son exploitation (comme les serres chez les maraîchers), ce qui permet ensuite d’envisager des solutions concrètes à mettre en place.

    Il y a trois-quatre ans, cette formation avait aussi pour but de sensibiliser au changement climatique, qui n’était pas une évidence pour tout le monde. Les agriculteurs disaient : « ça a toujours été comme ça, la météo varie » et pensaient qu’après une mauvaise année, ça irait mieux. Mais la région a dû faire face à quatre années de sécheresse de suite et maintenant, il n’y a plus trop de climato-sceptiques, la sensibilisation est moins nécessaire même si on la fait toujours. Ils ont compris qu’ils n’étaient pas face à de simples variations, mais à un vrai changement et que s’adapter est devenu indispensable.
    Normalement on va aussi jusqu’à estimer l’incidence économique du changement climatique sur l’exploitation, mais cette fois-ci la séance n’a pas eu lieu en raison du confinement. Ça peut être de chiffrer les pertes liées à la sécheresse, par exemple beaucoup d’éleveurs ont dû acheter du fourrage, ou faire des projections quand on a identifié une stratégie d’adaptation : si on projette à partir des résultats actuels, qu’est-ce que cette stratégie signifie en termes de produits en plus, de charges en moins, etc. ?
    ".